Naturellement, personne ne m'a demandé de faire ça.

Ce projet, qui aura pris un peu plus de 2 ans pour être achevé (et vraisemblablement quelques heures pour être supprimé) n'est rien d'autre qu'un énième challenge sur l'Internet. À ceci près qu'il a été motivé par une frustration, légère mais présente, à mesure que je visionnais la série.

Comprenez-moi bien : l'œuvre est méticuleusement dingue. Et mieux : par certains aspects, elle peut dépasser Breaking Bad. Pour son histoire d'amour entre Jimmy et Kim par exemple, si puissante alors qu'en constante retenue. Ou bien son traitement des Méchants, comme Lalo, qui prouve enfin qu'un antagoniste peut être autre chose que juste un dingue ou un maniaque.

Pourtant, j'aurais aimé être mieux témoin de la transformation de Jimmy en Saul, puis de Saul "Better Call Saul !" en Saul "Breaking Bad" ; réglée en une coupe dans la série. Quant à l'au revoir du couple principal, il m'a semblé si expédié qu'il m'a tristement laissé pas aussi triste que je l'aurais aimé.

Un cocktail d'interrogations qui m'a lentement mené vers cette gageure : en passant par un format de long métrage, pourrait-on mettre plus d'emphase sur ces moments d'hésitation, afin de les développer plus encore ?

Pour y parvenir, j'ai choisi de diviser le film en trois. La première partie, intitulée "Jimmy la Glisse", se concentre sur Jimmy et ses déboires avec son frère, ceux-là même qui le transformeront en Saul. La deuxième partie, intitulée "Appelez donc Saul", se concentre — comme son nom l'indique — sur l'arc narratif de Saul Goodman. Principalement son combat contre Howard qui mènera à sa perte. Enfin, la troisième partie intitulée "Ça Tourne Mal", dévoile, comme un épilogue, le devenir de nos personnages ; dans la mesure où la série n'offre aucune véritable image de Breaking Bad à intégrer au projet.

Ai-je réussi ? Quién sabe. Mais avec un œil neuf et la dose de curiosité nécessaire pour redécouvrir une histoire que l'on connait et que l'on aime, on pourrait bien être surpris ! — Pour le meilleur ou pour le pire, ça, c'est à vous de me dire !

Pour autant, ce projet a été instructif !

Car lorsqu'on ne fait que penser à ce qui pourrait être fait, on est souvent tenté de se dire : "Mettons ce moment ici, et celui-là là-bas, et cet autre moment par ici." Sauf qu'une fois le nez devant les rushs, on s'aperçoit — assez pathétiquement — que cette scène ne peut pas aller là… Les acteurs sont habillés différemment. Ils ont une autre coupe de cheveux. Ils ont de nouvelles cicatrices…

Aussi, remonter devient un véritable jeu d'équilibriste. Quant aux arcs narratifs, ils sont si entrelacés qu'on n'a souvent pas d'autre choix que de tout simplement supprimer un personnage. (Sans quoi il vous obligerait à rajouter ceci, qui vous obligerait à rajouter cela…)

Malheureusement, c'est ce qui est arrivé à l'épisode Manigances (s'il est un pivot pour la série, il était impensable de l'inclure ici, tant ce qui mène a cette situation est complexe et mise en place sur le très long terme). J'ai donc dû créer le pivot d'une autre manière, en utilisant la séquence où Chuck balance à Jimmy ses quatre vérités. En conséquence, Jimmy trafique l'adresse de Mesa Verde, et Chuck se ridiculise pour son premier dossier après son retour de congé-maladie, ce qui mène à la perte de confiance d'Howard à son égard, puis à sa destitution, et enfin son suicide.

Se faisant, le film passe sous silence beaucoup de choses importantes (pour la série), comme le fait que cette maladie n'en était pas réellement une, et j'en suis le premier attristé ; mais cela reste un choix inévitable et motivé par la nécessité de développer tout le reste. C'est pourquoi il est nécessaire de toujours garder en tête que ce projet n'a pas vocation à être une version réduite d'un contenu de 63h — un "précédemment" géant — mais bien une vision alternative, une perspective différente, qui doit être autosuffisante.

La suppression, c'est également ce qui est arrivé au personnage de Varga, pour tenter de contenir l'arc du Cartel. En effet, la vie de Jimmy McGill prend déjà une place folle, et dans un long métrage, elle implique des compromis cruels : chaque apparition des méchants doit être motivée par son point de vue. Ainsi, cet "arc des méchants" est simplifié au maximum, au profit de trahisons inévitables (mais cohérentes) avec l'histoire officielle.

À la fin, ce film offre une approche narrative nouvelle, si bien qu'elle ne spoile plus réellement la série. Ç'en devient alors une porte d'entrée intéressante pour les néophytes, ainsi qu'une porte de sortie pour les nostalgiques.

Pour garder mon histoire plausible, j'ai dû tordre la réalité de certains plans.

(Beaucoup !)

D'abord, en mettant quelques plans à l'envers ; le plus facile. Pour que les coupes soient plus puissantes, que les visages soient aux bons endroits ou que les actions se répondent mieux.

Puis il y a — n'ayons pas peur des mots — les effets spéciaux. Pour en citer que quelques-uns : la chemise de Saul Goodman quand Varga l'emmène de force voir Lalo.

J'ai choisi de mettre ces scènes côte à côte pour accélérer la narration. Mais ce faisant, un problème est apparu : Saul porte une chemise violette avec Nacho, puis verte avec Salamanca. Dans ma version, Nacho n'aurait jamais déposé Jimmy à la maison pour qu'il se change tranquillou. Alors, pouf ! Magie. Aussi ai-je dû couvrir les blessures de Jimmy… Car oui, dans ce film, Saul ne met pas un pied dans le désert. (Je sais c'est terrible, couper un si brillant épisode sur l'autel d'un long métrage… Mais hé! Hein!) Des petites extensions de décors ont été nécessaires çà et là, le ratio 2:35 en cause — qui, au passage, n'est pas là dans le but de faire "cool c'est du cinéma", mais comme un cache vital pour dissimuler les crédits, lorsque je devais utiliser des plans d'introduction. Et puis il y a "la" scène. Ce moment où Jimmy comprend que son frère le sabote depuis le début, ce qui instille en lui le besoin de vengeance, en commettant l'irréparable échange du 1216/1261 Rosella Drive. Alors, bien sûr, dans la série, ces scènes ne sont pas connectées : Mais pour sauver de précieuses minutes, j'ai dû falsifier le lien qui les unissait. Ainsi, j'ai entrepris de modifier la séquence 1 de telle sorte qu'elle puisse se fondre dans la séquence 2. Tant d'autres encore se trouvent disséminés dans le film.
Je vous laisserai les trouver par vous-même, mais la morale est claire :

Respect 0 — Continuité 1

Maintenant, peut-être les équipes officielles entendront-elles parler de ce projet de remontage sauvage d'une œuvre qui leur aura pris des décennies à mettre en place, peut-être pas. Des tiers agiront sans doute en sous-main pour supprimer le film sans que personne n'ait vent de son existence — ce que j'accepterai sans protester !

Pour autant, je voulais profiter de ces mots pour saluer et remercier les créateurs de cet univers Breaking Bad. Leurs personnages sont désormais si évidents qu'ils semblent simplement réels. De mon côté, je sais qu'ils le sont. Quelque part.

Mais ces remerciements ne seraient pas complets sans un mot pour trois personnes très spéciales : Fabrice, Antoine, et Florent. Ils m'ont aidé, chacun à leur manière, pendant ces années de création, lorsque j'avais besoin de soutien, de retour, ou simplement de courage pour continuer. Ils ont rendu le projet meilleur, plus fin, et grâce à eux, je peux le laisser vivre sa vie, fût-elle courte ou longue.

Enfin, j'aimerais vous remercier. Que vous ayez regardé le film ou pas, aimé ou pas. Vous avez lu ce manifeste jusqu'à son terme (ou scrollé machinalement jusqu'en bas) et ça, ça mérite toute ma considération !

Si vous souhaitez partager ce projet, vous pouvez utiliser les tweets pré-rédigés grâce aux boutons sur votre gauche, ou tout ou partie de ce manifeste et de son kit de presse prévu à cet effet !